Camp de Saint-Symphorien
De la famille à la cité : les évolutions de l'habitat de Paule du 6e au 1er siècle avant notre ère
Le Camp de Saint-Symphorien à Paule, dans les Côtes d’Armor, est localisé au centre de la péninsule bretonne. La partie la plus densément occupée de ce site ainsi que quelques espaces à la périphérie, ont été fouillés de 1988 à 2006, sur une superficie cumulée de 5 ha.
Le grand domaine des origines
L’histoire de cet habitat débute vers la fin du 6e siècle avant notre ère lorsqu’un vaste domaine est fondé au carrefour de deux voies. Un premier enclos, d’une superficie de 9 000m², abrite l’habitat et ses dépendances. Dans la partie nord-ouest, les fondations d’une maison de 410 m² de superficie ont été retrouvées. Elles surplombent plusieurs annexes : citerne, cave et souterrains. Des celliers semi-enterrés, recouverts d’un dôme de terre parementé de moellons, sont disposés le long de la clôture. Un second enclos, d’une superficie de 4 000m², abrite le bétail ainsi qu’une carrière. Face à l'entrée, le cimetière familial délimité par une palissade abrite une vingtaine de tombes. Un second cimetière contemporain et d'allure semblable a été découvert en 2010 à une centaine de mètres au sud du précédent. La régularité du plan plaide en faveur de la création ex nihilo d’un ensemble organisé de manière rationnelle, avec un souci d’architecture évident. Durant le 4e siècle, l'habitat se dégrade. Les dépendances sont progressivement démolies et une partie des souterrains comblés. Les cimetières sont abandonnés.
Construction d'une résidence monumentale, puis fortifiée
Vers le début du 3e siècle avant J.-C., la totalité des constructions de la phase précédente est arasée. Seules subsistent, au nord, à l’ouest et au sud, quelques clôtures à la périphérie du nouvel habitat, composé de deux enclos quadrangulaires accolés. Le premier, à l’ouest, abrite la partie résidentielle. Il est délimité par un petit rempart au front vertical, précédé d'un fossé profond de 2,50m et percé de quatre portes monumentales. Le long de la façade ouest ont été retrouvées les fondations du logis : un édifice long de 22m et large de 8m, vraisemblablement doté d’un étage. Il surplombait deux souterrains, qui servaient à la fois de cellier et, lorsque c’était nécessaire, de galeries permettant de fuir discrètement. Le second enclos, à l’est, abrite les dépendances. Il est délimité par un simple talus de terre bordé d'un fossé profond d'environ 1m.
La fin du 3e siècle avant notre ère est marquée par la mise en place de nouveaux remparts précédés d’imposants fossés creusés dans la roche altérée, jusqu'à une profondeur de 4,5m. L’image qui s’impose alors est celle d’une mise en défense du site, marquée par le doublement de l’enceinte qui protège la partie résidentielle et la condamnation de 3 des 4 portes qui permettaient d’y accéder, comme par la mise en œuvre d’une ligne de défense avancée autour des dépendances. L’organisation des constructions à l’intérieur de ces enceintes n’est en rien modifiée
L'habitat renaît de ses cendres et domine une agglomération
Vers 170 avant notre ère, un incendie ravage la majeure partie de cet habitat. Ce sinistre est marqué par la présence de nombreux fragments de parois brûlées dans l’un des fossés de clôture et dans les fondations alors remaniées. Les travaux de reconstruction semblent avoir immédiatement suivi ce sinistre. L’enceinte interne a été arasée et un nouveau logis long de 50m, a été édifié. En face, dans la cour, un puits de 18m de profondeur, protégé par un bâtiment, a été creusé. Une nouvelle enceinte a été édifiée, au nord et au sud, à 50m de la résidence. A l’abri de cette enceinte, de nouveaux édifices ont été construits. Le premier, au sud, est organisé en trois ailes disposées autour d’une cour. Les analyses effectuées dans les fondations de l’aile ouest permettent de poser l’hypothèse d’une vaste écurie, localisée au débouché d’une des portes majeures du site. A l’est de la résidence, un enclos carré abritait, dans un premier temps, un grenier sur quatre poteaux, ultérieurement remplacé par un entrepôt long de 18m. Un second enclos protégeait deux constructions : une grange longue de 28m et un vaste grenier sur 9 poteaux. Durant cette phase, la structure de l’habitat est conservée, avec une séparation marquée entre l’avant cour et la partie résidentielle. Les dispositifs de stockage et les autres dépendances, telle l’écurie, sont rejetés à l’extérieur de la résidence. Ces dépendances sont incluses dans une enceinte qui englobe désormais une dizaine d’hectares sur le sommet de la crête.
Les travaux engagés par la suite, durant la fin du 2e et la première moitié du 1er siècle avant notre ère, sont multiples. Une nouvelle ligne de défense est construite autour de la résidence et de nouvelles portes sont aménagées. L’enceinte périphérique édifiée au 2e siècle abrite désormais une agglomération qui s’étend sur une dizaine d’hectares. Cette phase d’extension maximale de l’habitat prend fin vers les années 15 avant J.-C. La résidence est alors abandonnée, tout comme l’agglomération qui l’entoure. Les remparts sont démantelés et le puits comblé. Les constructions sont systématiquement démolies, afin de récupérer les bois ou les ferrailles qui pouvaient être remployés. Les objets retrouvés montrent que ces travaux se sont achevés vers 15 après J.C.
Une histoire hors du commun, reflet de 5 siècles d'évolution de la société gauloise
Ainsi restituée, la place de Paule dans le corpus des habitats de la péninsule bretonne apparaît à chaque étape comme remarquable, sans être exceptionnelle. La vaste résidence des origines, qui abritait vraisemblablement sous un même toit une maisonnée, composée d'une famille élargie et de ses dépendants, respecte les schémas d'organisation des exploitations rurales contemporaines, en les exacerbant. Elle se présente comme la plus vaste et la plus riche aujourd'hui fouillée. Mais les prospections aériennes réalisées depuis des décennies dans cette région montrent que des sites semblables existent vraisemblablement par centaines en Bretagne. Cette résidence s'est transformée au 3e siècle , pour reprendre les termes utilisés pour les habitats fortifiés du Moyen âge, en «maison forte», caractérisée par des architectures plus monumentales que celle des fermes encloses contemporaines. Puis elle s’est transformée en «château-fort», une résidence fortifiée où résidait à demeure la famille et, dans une cour annexe, les personnes qui travaillaient à son service. Enfin, durant les 2e et 1 er siècles avant notre ère, on assiste très vraisemblablement à la naissance d'un « bourg castral », une agglomération placée sous le contrôle de la résidence fortifiée et qui accueillait certaines de ses dépendances, notamment les granges et un vaste atelier de sidérurgie, mais également de nombreuses habitations.
Les évolutions constatées sur le site de Paule illustrent de manière remarquable l'histoire d'une puissante famille gauloise durant les cinq siècles précédant notre ère. A une aristocratie foncière, dont la richesse repose avant tout sur l'étendue de ses domaines, succède une aristocratie probablement plus guerrière, qui marque son pouvoir par l'édification de résidences quadrangulaires monumentales, parfois fortifiées. Durant les deux derniers siècles avant notre ère, on assiste à la montée en puissance d'une aristocratie de titres et de magistrats, dont le pouvoir se mesure désormais à sa capacité à accéder aux plus hautes charges au sein de la cité. Contrôler les voies, les marchés et les bourgades, où sont entreposées et échangées les marchandises, constitue alors une source considérable de revenus.
Propriété privée.
Site inaccessible au public.
Y. Ménez, J.-C. Arramond, « L’habitat aristocratique fortifié de Paule (Côtes-d’Armor) », dans Gallia, 54, 1997, pp. 119-155
Y. Ménez, « Les sculptures gauloises de Paule (Côtes-d’Armor) », dans Gallia, 56, 1999, pp. 357-414
Y. Ménez, Le camp de Saint-Symphorien à Paule (Côtes-d’Armor) et les résidences de l’aristocratie du second âge du Fer en France septentrionale, thèse de doctorat en Archéologie, Paris I, 2009
A. Villard-Le Tiec, Y. Ménez, T. Lorho, « Habitats et nécropoles de l’âge du Fer en Centre Bretagne », dans L’âge du Fer en Europe. Mélanges offert à Olivier Buchsenschutz, éd. Ausonius, Bordeaux, 2013, pp. 245-263